On pouvait s’étonner que Nina Stemme n’ait pas encore reçu le Prix « Birgit Nilsson », attribué depuis 2009 par la Birgit Nilsson Foundation. Suédoise comme son illustre aînée, spécialiste comme elle d’Isolde, de Brünnhilde, d’Elektra et de Turandot (sans posséder du tout les mêmes caractéristiques vocales !), elle semblait pourtant toute désignée. Sauf que Birgit Nilsson, en prenant l’initiative de ce prix, financé par les placements effectués par elle-même et son époux, l’homme d’affaires Bertil Niklasson (1919-2007), avait bien spécifié qu’il devait récompenser « des réussites artistiques exceptionnelles dans l’univers de l’opéra ou du concert », en dehors de toute considération de nationalité ou de répertoire. D’où son choix, formulé avant sa disparition, le 25 décembre 2005, de Placido Domingo comme premier récipiendiaire, avant qu’un jury international, spécialement réuni dans ce but, ne couronne Riccardo Muti, en 2011, puis l’Orchestre Philharmonique de Vienne (Wiener Philharmoniker), en 2014.
2018 aura donc été l’année de Nina Stemme, qui a reçu sa récompense (une statuette et un chèque d’un million de dollars) des mains du roi Carl XVI Gustav de Suède, à l’Opéra de Stockholm, le 11 octobre. Merveilleusement organisée par la Birgit Nilsson Foundation, son président, Rutbert Reisch, et ses équipes, la cérémonie n’a connu aucun temps mort, avec des discours aussi brefs que pertinents, et des « pauses » musicales d’une qualité exceptionnelle. Ainsi d’un Bryn Terfel impressionnant dans les monologues du Hollandais (« Die Frist ist um »), de Hans Sachs (« Was duftet doch der Flieder ») et Falstaff (« L’onore ? Ladri ! »), avec l’impeccable sourtien du Royal Swedish Orchestra, dirigé par Evan Rogister.
Le baryton-basse britannique a certes perdu un peu de sa richesse de timbre et, avec quelque trente années de carrière derrière lui, il lui faut plusieurs minutes pour s’échauffer. Mais, une fois le « moteur » lancé, plus rien ne peut arrêter cette ahurissante bête de scène qui, sans décor ni costume, crée un théâtre par la seule magie de la voix et du verbe. Dans Der fliegende Holländer, c’est l’intensité tragique de l’incarnation qui prend aux tripes ; dans Die Meistersinger von Nürnberg, l’émotion des accents ; dans Falstaff, la puissance et la faconde étourdissante d’un chanteur-acteur ne ressemblant à aucun autre avant lui.
Bravo, donc, à Nina Stemme, « la meilleure ambassadrice de la Suède dans le monde de l’opéra », comme l’a si bien résumé Bryn Terfel dans une petite allocution pleine d’affection et d’humour. En conférence de presse, un confrère a évidemment demandé à la soprano ce qu’elle comptait faire de son million de dollars. Habilement, elle a répondu qu’elle n’avait pas encore de projet bien défini, mais il est très possible que, comme Placido Domingo avant elle, elle l’utilise pour défendre la cause des jeunes chanteurs. Même si Birgit Nilsson souhaitait que chaque récipiendaire soit libre d’utiliser l’argent à sa convenance, il est certain qu’un tel choix ne lui aurait pas déplu !
RICHARD MARTET
PHOTO : Le roi Carl XVI Gustav de Suède remettant son Prix à Nina Stemme. © FREDRIK STEHN